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Seulement 10 compagnies aériennes, dont Air France-KLM, investissent sérieusement dans les carburants alternatifs

décembre 3, 2024

Sur les 77 compagnies aériennes classées par T&E, la moitié obtiennent la pire note car elles ne font pas d’effort pour incorporer des carburants alternatifs au kérosène fossile. Air France-KLM, au contraire, se classe en tête. Les compagnies pétrolières, qui n'investissent pas assez dans cette transition, sont en grande partie responsables de cette situation.

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10% Part des accords SAF portant sur l'e-kérosène

Selon un nouveau classement établi par T&E (Transport & Environment), 87 % des compagnies aériennes négligent la transition vers les carburants alternatifs, appelés SAF (sustainable aviation fuels). Sur 77 compagnies aériennes évaluées au niveau mondial [1], seules 10 font des efforts notables pour passer du kérosène fossile à des alternatives réellement durables. Les 67 autres achètent soit trop peu de SAF, soit le mauvais type de SAF, soit n'envisagent pas du tout les SAF dans leurs plans de décarbonation.

Les trois premières compagnies aériennes du classement sont Air France-KLM, United Airlines et Norwegian. Air France gagne des points car elle utilise déjà des SAF via les biocarburants avancés et biocarburants issus de déchets (huile de cuisson). Air France-KLM est la seule compagnie qui reçoit la note B du classement avec ses 61 points sur 100 possibles. Aucune compagnie n’obtient la note maximale (A).

Actuellement, la majorité des compagnies aériennes évaluées (67 sur 77) sont classées dans la catégorie D, ce qui signifie qu'elles n'ont pas ou peu adopté de SAF, qu'elles ont des lacunes importantes en matière d'action climatique et qu'elles comptent souvent sur une grande quantité de biocarburants produits à partir de cultures alimentaires et donc non-durables. Cela questionne sérieusement leur capacité à s'attaquer à leur impact sur le climat.

L’e-kérosène, le SAF le plus durable

Tous les SAF ne se valent pas. L'e-kérosène - fabriqué à partir d'électricité renouvelable - est le seul type de SAF dont le niveau de production peut être durablement augmenté pour répondre aux besoins croissants du secteur de l'aviation. En revanche, la durabilité et la disponibilité des SAF fabriqués à partir de biomasse (biocarburants) varient considérablement.

Ainsi, les SAF fabriqués à partir de cultures destinées à l'alimentation humaine ou animale (par exemple le maïs) ne sont pas du tout durables. Plusieurs critères ont donc été pris en compte pour le classement des compagnies aériennes : objectifs d’incorporation de SAF et d’e-kérosène, types de carburants achetés et engagement en faveur de l'e-kérosène par le biais d'accords d'achat, de lettres d'intention et de protocoles d'accord.

Actuellement, la plupart des compagnies aériennes utilisent le mauvais type de SAF. L'e-kérosène représente moins de 10 % des accords de SAF signés, tandis que les biocarburants non durables à base de grains de maïs et d'huile de soja représentent plus de 30 % [2]. Les compagnies aériennes doivent en faire davantage pour inciter les producteurs de carburant à donner la priorité aux bons types de matières premières, affirme T&E.

« Très peu de compagnies aériennes s'engagent à utiliser des carburants véritablement durables - Air France est l’une des seules, regrette Jérôme du Boucher, responsable aviation à T&E France. La majorité d'entre elles achètent les mauvais types de carburants ou, pire encore, n'achètent pas de SAF du tout. Les compagnies aériennes doivent changer cette situation en tapant du poing sur la table. Elles doivent vite faire comprendre à leurs fournisseurs de carburants que ce qu’ils leur vendent ne rendra pas leurs vols plus écologiques. Sinon, elles pourront dire adieu à leur objectif de zéro émission nette ».

Les producteurs pétroliers historiques face à leurs responsabilités

Les producteurs de pétrole historiques n'investissent pas suffisamment dans la transition vers les carburants durables. Selon l’analyse de T&E basée sur les projets en cours, Eni, TotalEnergies, Shell, BP, Chevron, ExxonMobil, Sinopec et Saudi Aramco pourraient produire en cumulé seulement 3 Mt de SAF par an d'ici à 2030, soit moins de 3 % de leur production actuelle dédié à l'aviation.

Pire encore, pratiquement aucun de leurs investissements dans les SAF ne concerne l'e-kérosène. Shell s'est récemment retiré d'un projet d'e-kérosène, ce qui témoigne de la réticence de l'industrie à véritablement changer, en continuant à prioriser les investissements dans les combustibles fossiles. D’un côté, les minuscules quantités de SAF produits par les grandes compagnies pétrolières sont des carburants d'origine biologique qui ne sont ni durables ni capables de soutenir une forte demande. De l’autre, le marché de l'e-kérosène est actuellement dominé par de petits raffineurs et des start-ups, qui n'ont pas la capacité financière de produire suffisamment pour répondre aux besoins du marché de masse à long terme.

« Les compagnies pétrolières sont la pièce manquante du puzzle dans l'écosystème des carburants durables. Elles sont passées inaperçues jusqu'à présent, mais leur réticence à investir dans les SAF compromet la transition de l'ensemble du secteur. Les régulateurs doivent se montrer plus sévères et s'assurer que les majors pétrolières investissent dans les SAF, tout en développant une stratégie industrielle européenne pour l'e-kérosène, afin de soutenir cette industrie naissante avec un financement et des mesures réglementaires adéquats. Le Clean Industrial Deal offre une occasion unique d'aborder ces questions et d'encourager la production d'e-kérosène » affirme Jérôme du Boucher.

Le marché des SAF n’a pas encore décollé

L'utilisation des SAF dans le monde est très faible. En 2023, les compagnies aériennes figurant dans le classement ont consommé plus de 1,6 milliard de barils de kérosène fossile, contre seulement 2,6 millions de barils de SAF (moins de 0,15 % de la consommation totale de kérosène). L'analyse montre que, pour l'instant, elles ont signé des contrats d’achat de SAF pour répondre à seulement 1,2 % de leurs besoins en carburant d'ici à 2030.

Mais l'adoption de ces carburants varie considérablement d'une région du monde à l'autre. Les compagnies aériennes nord-américaines figurant dans le classement utiliseront 2,7 % de SAF en 2030, tandis que leurs homologues européennes atteindront 1,3 %. Mais cette part est susceptible d'augmenter en raison de la législation de l'UE et du Royaume-Uni qui impose l'utilisation croissante des SAF après 2030.

Compte tenu des faibles quantités de SAF achetées jusqu'à présent, la réduction des émissions qu'ils entraîneront ne compensera pas la croissance globale des émissions du secteur. Pour les 77 compagnies aériennes classées dans l'étude, les volumes de SAF prévus n'entraîneront qu'une réduction de 0,9 % des émissions de CO2eq en 2030. Mais comme les compagnies aériennes européennes achètent des SAF de meilleure qualité, elles devraient réduire leurs émissions d'une manière plus importante que les compagnies aériennes nord-américaines.

Notes aux éditeurs

[1] Pour établir le classement, T&E a sélectionné les plus grandes compagnies aériennes du monde (en termes de nombre de passagers et de consommation de carburant) et de plus petites compagnies aériennes ayant conclu des accords d'achat de SAF. Ces 77 compagnies aériennes sont responsables d'environ 75 % de la consommation mondiale de carburéacteur.

[2] En Europe, la législation (ReFuel EU) interdit l’utilisation de biocarburants dits « de première génération » (1G), issus de cultures alimentaires ou fourragères. Elle oblige aussi les fournisseurs de carburants à incorporer de plus en plus de carburants de synthèse dans leur production. Ce n’est pas forcément le cas ailleurs dans le monde.


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