Tribunes

Vous vous souciez de l’environnement et des droits de l’homme – passez à l’électrique

septembre 2, 2019

Les voitures électriques sont-elles vraiment moins polluantes ? C'est une question qui anime les débats sur les réseaux sociaux, dans les journaux ou encore lors des dîners entre amis. Si depuis l'essor de l’éolien et du solaire, le fait que l’électricité peut être propre fait consensus, l’attention est maintenant portée sur les batteries, remises en question dans de nombreux articles, notamment pour leur impact sur l’environnement et les droits de l’homme.

Le mot « cobalt » est omniprésent, ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi : nous nous devons d’être critiques (et nous le sommes). Mais nous ne devons pas non plus perdre de vue le véritable problème dans la question de l’environnement et des droits de l’homme : le pétrole que les batteries cherchent à remplacer.

Le cobalt est extrait en Australie, en Russie et au Canada, mais provient majoritairement de la République démocratique du Congo. Les conditions de vie auxquelles des millions de Congolais sont confrontés sont une abomination. Il suffit par exemple d’évoquer l’épidémie d’Ebola dans le Congo de l’est. Par ailleurs les conditions de travail dans le secteur minier (industriel comme artisanal) sont mauvaises et parfois tout à fait dangereuses, avec souvent des enfants travailleurs.

Malheureusement, les problèmes du Congo ne datent pas d’hier. L’héritage désastreux du colonialisme de ma Belgique natale, puis le règne long et corrompu de Mobutu, suivi par une horrible guerre et les années Kabila ont fait du Congo, riche en ressources naturelles, le pays le plus pauvre du monde. Il est déplorable que la révolution numérique ne soit pas parvenue à apporter les changements nécessaires dans le pays (plus de la moitié du cobalt extrait aujourd’hui est utilisé dans nos laptops, tablettes, smartphones et autres appareils électroniques portables). La manière dont le nouveau président congolais et son gouvernement récemment formé vont gérer ces nombreuses ressources sera déterminante pour l’avenir du pays : si la RDC s’y prend bien, les revenus de l’exploitation minière pourraient contribuer au développement dont le pays a désespérément besoin.

Les voitures électriques (et avant elles, les smartphones) sont donc un excellent moyen d’attirer l’attention des lecteurs sur les problèmes ruinant des endroits tels que Katanga, où la plupart du cobalt du pays est extrait. Toutefois, l’impact d’un boycott des voitures électriques et du cobalt serait minime sur les vies du peuple congolais. Aussi, nous devons utiliser l’intérêt pour les voitures électriques comme un levier visant à exhorter les sociétés, les consommateurs et les gouvernements à améliorer leurs pratiques. C’est là l’objectif de T&E et d’autres organisations telles qu’ Amnesty International.

Mais alors que nous débattons du cobalt et du Congo, nous ne devons pas nous écarter de la problématique plus large en matière d’énergie et de droits de l’homme : le pétrole. L’Europe s’approvisionne en pétrole principalement en Russie, en Arabie saoudite, en Lybie, en Norvège, en Iraq, au Nigeria, en Angola et en Algérie. À l’exception de la Norvège, il s’agit de régimes autoritaires au passé très problématique en matière d’environnement et de droits de l’homme. Avec ses revenus tirés du pétrole, la Russie, par exemple, censure son peuple, soutient des politiciens d’extrême droite tels que Matteo Salvini (information à mettre au conditionnel dans son cas) et Marine Le Pen, et finance une armée de cyber trolls. Les pétrodollars financent également des guerres réelles, notamment en Ukraine et en Syrie. L’Arabie saoudite, l’état pétrolier par excellence, non content d’être un oppresseur notoire des femmes et meurtrier de journalistes, est aussi le plus grand acheteur d’armes. Les pétrodollars ont aussi permis la montée du fondamentalisme islamique avec pour conséquence les horribles attaques terroristes encore fraîches dans nos mémoires.

Outre Poutine, la famille Saoud et d’autres dictateurs, des sociétés telles que ExxonMobil, Total, Eni, Repsol et Rosneft s’enrichissent avec le pétrole. Ces sociétés ont souvent bafoué les droits de l’homme et malmené l’environnement. Citons notamment les grandes marées noires, la montée du pétrole non conventionnel tels que les sables bitumeux, ou encore le forage dans des lieux tels que la forêt tropicale protégée du Congo ou l’ Arctique. Et il ne s’agit là que d’une fraction du prix à payer pour notre addiction au pétrole !

10 kg contre 10 000 litres

Mais on peut alors se demander : « N’allons-nous pas simplement remplacer notre addiction au pétrole par une addiction au cobalt ? N’est-ce pas aussi grave ? »

Eh bien non. La différence énorme entre le pétrole et le cobalt (et le lithium et autres matériaux de batterie) réside dans le fait que les voitures électriques ne brûlent pas de cobalt. Avec une petite quantité de cobalt (environ 10 kg[1]), on peut recharger sa voiture pour une dizaine d’années ou plus, ce qui ne rend pas votre batterie obsolète au bout de 10 ans pour autant : elle peut être utilisée dans d’autres applications ou recyclée, si bien que l’on peut réutiliser ce même cobalt pour de nouvelles batteries. Le pétrole, en revanche, est brûlé à chaque fois que l’on allume son moteur. Ainsi, au bout de 10 ans sur la route, vous aurez brûlé environ 10 000 litres de pétrole, envoyé des milliers d’euros à des états pétroliers et sociétés pétrolières, pollué votre environnement et exacerbé le changement climatique.[2]

Cela ne doit pas nous empêcher de demander à Volkswagen, aux fabricants de batteries, ou aux gouvernements de prendre leurs responsabilités et de mettre en place des règles pour améliorer les conditions des personnes qui travaillent sur la chaîne d’approvisionnement des batteries. Les problèmes du Congo et du secteur minier sont réels et nous travaillerons avec nos partenaires pour améliorer la situation. Mais soyons clairs : si les droits de l’homme, la liberté politique ou l’environnement vous importent, débarrassez-vous de votre voiture à essence et préférez une voiture électrique, ou mieux, un vélo ou un bus électrique, ou autre service de transport partagé.

Notes

[1] Le modèle 3 de Tesla ne comporte en réalité que 4,5 kg de cobalt, mais nous nous référons ici à une batterie 50 kWh NMC622.

[2] Sur la base du modèle interne T&E, disponible sur demande.

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