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Les niches fiscales et sociales sur les voitures de fonction à carburant fossile coûtent 4 milliards d’euros d’argent public par an

octobre 21, 2024

Une étude de Transport & Environment quantifie pour la première fois la perte d’argent public associée aux « niches brunes » sur les voitures de fonction.

23 200 euros Le coût annuel de la niche fiscale pour un véhicule statutaire de type BMW X3.

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Chaque année, la Sécurité Sociale et l’État voient 4 milliards d’euros partir en fumée. Ce montant correspond aux exonérations d’impôts et de cotisations dont bénéficient les près de 1,1 million de voitures de fonction fossiles [1] (essence, diesel et hybride) qui circulent aujourd’hui en France. C’est le principal résultat d’une étude inédite de Transport & Environment (T&E) et du cabinet spécialisé ERM [2].

L’ampleur de ce manque à gagner s’explique par le fait que les voitures de fonction sont bien plus favorisées fiscalement que les salaires. Ces voitures bénéficient de plusieurs niches fiscales et sociales [3] permettant aux employeurs de réduire leur niveau de taxation (impôt sur les sociétés et cotisations patronales) en les proposant à leurs salariés à la place d’une rémunération classique. Les salariés bénéficiaires, de leur côté, profitent d’un avantage fiscal (réduction de l’impôt sur le revenu et des cotisations salariales) pour des voitures qui, bien souvent, remplacent leur voiture personnelle [4].

À titre de comparaison, si ces 4 milliards d’euros étaient utilisés pour financer le leasing social à 100 euros, ce sont plus d’un demi-million de Français qui accéderaient à une voiture électrique abordable pendant 3 ans.

L'étude a également permis de chiffrer le montant précis de niche fiscale (ou, dit autrement, la perte de recettes pour la Sécurité Sociale et l’État), pour chaque modèle de voiture de fonction circulant actuellement en France.

À titre d’exemple, pour un SUV « statutaire » (uniquement utilisé pour les trajets privés du salarié qui en bénéficie) de type BMW X3 (assemblé aux États-Unis) en version essence, le gain fiscal représente 23 600 € en 2023. Cela équivaut à quatre fois le montant de subvention accordée aux bénéficiaires du leasing social sur trois ans (6 000 €) ou à 1,5 fois le SMIC annuel net (16 237 € au 1er janvier 2023).

Une subvention fossile indirecte qui participe au retard des entreprises françaises sur l’électrique

Cette fiscalité accommodante offerte aux voitures de fonction thermiques et hybrides s’apparente à une subvention déguisée aux carburants fossiles. Elle brouille le signal fiscal et n’incite pas les entreprises françaises à accélérer la transition électrique de leurs parcs.

Or, les entreprises tricolores électrifient moins leurs voitures que leurs homologues européennes (11 % des voitures d’entreprises neuves étaient électriques sur le premier semestre 2024, contre 35 % en Belgique et au Danemark, 33 % en Suède et aux Pays-Bas, 29 % en Finlande, 22 % au Royaume-Uni, 20 % au Luxembourg…). Elles sont également en retard vis-à-vis des particuliers français (25 % des voitures neuves).

La situation pourrait encore s’aggraver en cas de non-renouvellement de l’arrêté permettant aux voitures électriques de fonction de bénéficier d’un avantage fiscal spécifique par rapport à leurs équivalents thermiques, qui n’est prévu que jusqu’à la fin de l’année. Si le gouvernement ne prolongeait pas cet avantage en 2025, cela ne ferait que ralentir encore plus la transition vers l’électrique.

T&E appelle à suivre les exemples du Royaume-Uni et de la Belgique

Une autre politique fiscale sur les voitures de fonction est pourtant possible. Elle existe même près de chez nous. Parmi les pays étudiés dans l’étude, le Royaume-Uni fait figure de bon élève : les voitures de fonction fossiles y sont fortement pénalisées et les modèles électriques sont avantagés à travers des exemptions. La Belgique a quant à elle choisi de revoir les règles d’amortissement des véhicules de société, en réduisant progressivement la possibilité pour l’employeur d’« amortir » ses voitures thermiques et hybrides pour réduire son impôt sur les sociétés.

Ces politiques volontaristes se traduisent directement dans la conversion des flottes d’entreprises : au premier semestre 2024, au Royaume-Uni et en Belgique, les parts de marché de la voiture électrique s'élevaient ainsi à 21 % et 35 % des immatriculations de voitures neuves, soit respectivement deux et trois fois plus qu’en France.

« Nous appelons le gouvernement et les parlementaires à suivre l’exemple de nos voisins anglais et belges. Il faut éteindre progressivement les exonérations dont bénéficient les voitures de fonction fossiles. On parle de plusieurs milliards d’euros d’impôts et de cotisations qui pourraient rentrer dans les caisses publiques dès 2025 : une manne bienvenue au moment où le gouvernement fait la chasse au moindre centime pour boucler son budget… » conclut Léo Larivière, responsable transition automobile de T&E France.

Note aux éditeurs

[1] Les voitures de fonction sont des voitures d’entreprises mises à disposition permanente des salariés, qui sont libres de les utiliser pour leurs trajets personnels. Elles se distinguent des voitures de service qui sont uniquement utilisées pour des motifs professionnels.

[2] Concrètement, ERM et T&E ont évalué le montant de taxation total payé par les salariés et les employeurs sur l’utilisation à titre privé des voitures de fonction fossiles (diesel, essence, hybrides et hybrides rechargeables). Ils l’ont ensuite comparé au montant qui aurait été taxé si ces dépenses avaient été versées sous la forme d’un salaire, pour chaque voiture de fonction circulant en France au 31 décembre 2023. Au total, la différence entre ces deux montants constitue le manque à gagner de 4 milliards d’euros.

[3] Les dispositifs de taxation considérés dans l’étude sont : les impôts et cotisations payés sur l’avantage en nature, les amortissements déductibles et les taxes annuelles sur l’affectation des véhicules à des fins économiques (ancienne taxe sur les véhicules de société)..

[4] Des enquêtes menées en Belgique, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas suggèrent que la grande majorité des trajets réalisés avec une voiture de fonction relève en réalité des déplacements privés du salarié. Aucune donnée précise n’existant à ce jour pour la France, T&E et ERM ont chiffré la niche fiscale et sociale à partir d’une hypothèse selon laquelle, en moyenne, 65 % des trajets réalisés avec les voitures de fonction relèvent du privé.

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