Une enquête menée par une ONG environnementale sur les navires propulsés au gaz naturel liquéfié (GNL) dits « verts » révèle qu’ils libèrent en réalité d’importantes quantités de méthane dans l’atmosphère.
Des images infrarouges montrent que du méthane non brûlé – un puissant gaz à effet de serre – est libéré par les navires au GNL censés produire une énergie plus propre, selon une nouvelle enquête accablante de Transport & Environment (T&E).
CMA CGM, le géant français du transport maritime, soutient que ses navires au GNL permettent une réduction significative des émissions de CO2 par conteneur. Toutefois, comme le révèle l’enquête de T&E, cette affirmation ne tient pas compte des émissions de méthane, dont l’impact sur le réchauffement climatique est plus de 80 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone sur une période de 20 ans [1].
Pour Delphine Gozillon, chargée du transport maritime au sein de T&E, « ces navires peuvent se draper de vert, mais sous le voile, la vérité est que la plupart des navires au GNL en service aujourd’hui sont plus nuisibles pour le climat que ceux qu’ils remplacent. CMA CGM présente le GNL comme un carburant durable, mais garde le silence quand il s’agit du méthane. C’est ce que l’on peut appeler du flagrant délit de greenwashing »
CMA CGM investit massivement dans le GNL. Selon le site Internet de l’entreprise, « le GNL est la meilleure solution disponible à ce jour » pour réduire l’impact environnemental du transport maritime. Dans son rapport Développement Durable 2020, elle affirme qu’un navire propulsé au GNL émet 20 % de dioxyde de carbone en moins qu’un navire au carburant classique. Pourtant, dans aucune de ses communications, elle ne mentionne les émissions de méthane, et encore moins la quantité de méthane généralement rejetée par ses navires.
Des fuites et des échappements surviennent tout au long de la chaîne d’approvisionnement en gaz naturel. L’utilisation du GNL fossile comme carburant maritime est particulièrement problématique, car ces échappements proviennent des moteurs des navires. D’après les données de l’Organisation maritime internationale (OMI), on estime que, selon le type de moteur, entre 0,2 % et plus de 3 % du gaz s’échappe lors du processus de combustion et est rejeté directement dans l’atmosphère.
Aujourd’hui, environ 80 % [2] du GNL est brûlé dans des moteurs dont les émissions de gaz à effet de serre sur l’ensemble du cycle de vie sont plus élevées que celles des moteurs traditionnels au fioul [3].
T&E a mené son enquête par une belle journée de novembre dans le port de Rotterdam – le plus grand d’Europe –, à l’aide d’une caméra infrarouge de pointe dotée d’un filtre spécial permettant de détecter les gaz d’hydrocarbures [4]. Comme le GNL est généralement composé à 90% de méthane, tout carburant qui s’échappe de la chambre de combustion du moteur est lui aussi essentiellement composé de ce gaz à effet de serre. Les panaches d’émission qui s’élèvent dans le ciel et y restent un certain temps en sont une indication.
Selon une évaluation externe réalisée par TCHD Consulting, une société de conseil en imagerie optique des gaz, les images du navire le Louvre de la CMA CGM prouvent que d’intenses émissions d’hydrocarbures non brûlés ont été libérées dans l’atmosphère, par les trois cheminées d’échappement, visibles au-dessus du navire et en dehors du cadre de la vidéo.
Au cours de son enquête, T&E a pu suivre un autre navire GNL, l’« Eco-Delta », un bateau dragueur n’appartenant pas à CMA CGM, utilisé pour dégager les voies de navigation en aspirant le sable du fond de la mer. Là encore, des émissions non brûlées ont été enregistrées, avec du méthane libéré par les deux cheminées d’échappement situées à l’avant du navire.
En 2021, les armateurs ont commandé davantage de navires au gaz fossile qu’au cours des quatre années précédentes réunies, les navires au GNL étant présentés comme une alternative propre aux carburants traditionnels. Les industriels gaziers continuent de faire pression pour que le GNL soit considéré comme une solution de transport maritime écologique, en soulignant les faibles échappements de méthane d’après leurs propres données [5]. Une situation qui, pour T&E, s’apparente de plus en plus à un « Méthane-gate ».
L’année dernière, l’UE a proposé des objectifs d’intensité carbone pour les carburants maritimes, ce qui obligerait les armateurs à abandonner progressivement le fioul lourd, actuellement le plus utilisé par le secteur.
T&E a cependant averti que, sans garanties de durabilité, cette législation ne fera qu’imposer le GNL, en tant qu’alternative la moins coûteuse. Une étude récente de l’ONG montre que plus de deux tiers des nouveaux navires pourraient être propulsés au GNL à compter de 2025. Cela ferait passer la part du GNL fossile dans les carburants maritimes en Europe d’environ 6 % aujourd’hui à près d’un quart à l’horizon 2030, bloquant ainsi le secteur dans l’utilisation des carburants fossiles jusque dans les années 2040.
Et Delphine Gozillon de conclure : « Nous sommes en pleine crise climatique. Nous ne pouvons pas nous permettre de rejeter davantage de méthane dans l’atmosphère. Notre enquête n’est qu’un petit échantillon, mais elle doit servir d’avertissement aux responsables politiques. En promouvant le GNL fossile, ils parient sur la mauvaise solution. Nous devrions nous concentrer sur les solutions véritablement durables, basées sur l’hydrogène. »
L’enquête de T&E se limite pour l’instant à deux navires, en raison de la complexité d’une telle investigation. Les navires au GNL concernés ont pu être localisés et suivis en faisant correspondre les données du trafic maritime [6] et les données IHS, qui spécifient le type de moteur et de carburant utilisé.
FIN
Notes à l’attention du rédacteur
[1] Selon le 6e rapport d’évaluation du GIEC, le méthane a un pouvoir de réchauffement 29,8 fois plus important que le CO2 sur 100 ans et 82,5 fois plus sur 20 ans.
[2] Estimation du carburant consommé par les navires au GNL parmi la flotte couverte par le système MRV 2020, à partir des données relatives aux caractéristiques de la flotte fournies par IHS.
[3] Voir figure 9, Comparatif des émissions de GES sur l’ensemble du cycle de vie des différents carburants, rapport 2022 de T&E concernant l’initiative FuelEU Maritime.
[4] Guide du fonctionnement de la caméra – https://cutmethane.eu/learn/the-basics-of-optical-gas-imaging/
[5] L’industrie du GNL a commandé une contre-étude en réponse au rapport de l’étude de l’OMI sur les émissions de gaz à effet de serre, qui présente ses propres valeurs de laboratoire. Parmi les partenaires du consortium se trouvent les grands groupes français Total, CMA-CGM et Société Générale. https://sphera.com/research/2nd-life-cycle-ghg-emission-study-on-the-use-of-lng-as-marine-fuel/
[6] Il est possible de suivre ces navires en utilisant les données du trafic maritime. Ainsi, à la date de la présente publication, le porte-conteneurs Louvre filmé dans l’enquête se trouve à Wilhelmshaven, en Allemagne. https://www.marinetraffic.com/en/ais/home/shipid:6335458/zoom:14
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