Une nouvelle étude de T&E France révèle qu’en 2022, la majorité des entreprises et des administrations n’est pas en bonne voie pour atteindre les quotas de « verdissement » de leurs parcs automobiles prévus par la loi, malgré une réglementation très permissive.
Les grandes entreprises, l’État et les collectivités territoriales prennent-ils leur juste part de la transition vers le véhicule électrique ? Dans une étude publiée ce jeudi, Transport & Environment France (T&E France) dévoile le tout premier bilan du niveau d’électrification des 5,7 millions de véhicules professionnels de France, réalisé à partir de données officielles [1]. Le constat est accablant : en 2022, 66 % des entreprises, 64 % des collectivités territoriales et 87 % des administrations de l’État ne sont pas en ligne avec les quotas légaux de verdissement de leurs flottes. Pour mémoire, ces quotas s’appliquent aux nouveaux véhicules intégrant les grands parcs automobiles professionnels (plus de 100 véhicules dans la quasi-totalité des cas) [2],[3].
Léo Larivière, responsable du plaidoyer électrification des flottes à T&E France explique : « Les données dévoilent un échec généralisé de la loi. Les objectifs légaux sont pourtant peu ambitieux et faiblement contraignants. Ils incluent les hybrides rechargeables, considérés comme des véhicules “verts” alors que ces derniers peuvent émettre 5 à 7 fois plus de CO2 en conditions réelles que les mesures officielles.» [4]
Plus généralement, le bilan réalisé par T&E révèle les graves faiblesses des objectifs de verdissement des flottes. Ces derniers reposent essentiellement sur la bonne volonté des entreprises et des administrations concernées. Ils ne sont assortis d’aucune formation des gestionnaires de flottes, d’aucun contrôle, d’aucune sanction. Rien n’incite donc à les respecter.
Les plus grandes organisations professionnelles sont loin d’être exemplaires. Sur le top 100 des plus grandes flottes de France, 58 ne sont pas en ligne avec leurs objectifs légaux de verdissement pour 2022. C’est le cas d’importants groupes privés, comme Kiloutou (0,1 % de véhicules électriques et hybrides rechargeables sur le total des véhicules intégrés à la flotte en 2022, au lieu des 10 % obligatoires), Air Liquide (2 %), Saint-Gobain* (3,4 %), Eiffage (7,2 %), Bouygues (8 %), Veolia* (8,5 %) ou Lidl (8,8 %).
Du côté des acteurs publics, le Ministère de l’Intérieur fait figure de mauvais élève, avec seulement 2,7 % de véhicules « verts » immatriculés en 2022. Quant à la Présidence de la République, aucune des voitures intégrées à la flotte élyséenne en 2022 n’est 100 % électrique…
« Plusieurs grandes organisations atteignent largement les objectifs. C’est aussi le cas de nombreuses entreprises et administrations à la tête de petites flottes de moins de 100 véhicules, alors même qu’elles ne sont pas concernées par la loi. C’est en grande partie une question de volonté, poursuit Léo Larivière. Les grandes organisations doivent assumer leur responsabilité et prendre leur juste part de la transition : elles ont les moyens d’aller plus vite et plus fort sur le véhicule électrique. »
De fait, plusieurs petites et grandes organisations affichent des niveaux d’électrification élevés, démontrant qu’il est tout à fait possible de poursuivre une trajectoire ambitieuse de transition vers le véhicule 100 % électrique. C’est le cas d’EDF (35 % de véhicules 100 % électriques sur le total des véhicules intégrés à la flotte en 2022), de La Poste (29 %), de Filippi Auto (26 %), du Ministère des Armées (18 %), du Groupe Emil Frey (17 %), du Crédit Agricole (15 %), de Cosmobilis (14 %)…
Pour T&E France, ces résultats doivent conduire le gouvernement à réviser les politiques d’incitation à la transition électrique des flottes. Il faut exclure les hybrides rechargeables du périmètre de la loi, ces voitures étant largement utilisées comme un outil de verdissement artificiel. Les trajectoires d’électrification doivent par ailleurs être différenciées selon la taille du parc et aller progressivement vers 100 % de véhicules électriques dans le cadre du renouvellement annuel des flottes entre 2027 et 2030. Enfin, l’État doit mieux faire respecter la loi, tout en réhaussant les incitations à l’électrification via une réforme de la fiscalité des véhicules professionnels.
En plus des gains climatiques, électrifier massivement les flottes professionnelles permet de sécuriser les débouchés des constructeurs automobiles français pour leur offre de véhicules électriques. Et comme les voitures professionnelles sont revendues après quatre ans d’utilisation, les électrifier accélère la diffusion de véhicules propres sur le marché de l’occasion, ce qui les rend plus abordables pour les ménages modestes. En somme, l’électrification des flottes constitue un instrument de décarbonation puissant, un levier de transition juste et un outil de politique industrielle.
Notes aux éditeurs
[1] Pour son analyse, T&E s’est appuyé sur sur NGC-Data, un prestataire spécialisé dans la statistique automobile, qui a compilé les données officielles du Ministère de l’Intérieur (Système d’Immatriculation des Véhicules) et de l’Insee (répertoire Sirene). Ces données ont ensuite été croisées pour rattacher chaque véhicule à l’entreprise ou l’administration qui l’utilise. La méthodologie complète est explicitée dans l’étude.
[2] Au titre de la Loi d’Orientation des Mobilités (LOM) de 2019 et de la loi Climat et Résilience de 2021, les quotas de verdissement pour 2022 sont de 10 % pour les entreprises, 30 % pour les collectivités territoriales, 50 % pour l’État.
[3] Au regard de la loi, les objectifs de verdissement s’appliquent aux bons de commande. Les données relatives aux signatures de bons de commande par les entreprises et administrations n’étant pas publiques, le choix méthodologique a été fait d’analyser le nombre de véhicules neufs ou d’occasion ayant intégré les flottes des entreprises et des administrations en 2022 (soit les véhicules ayant été livrés et immatriculés sur l’année). Compte tenu des problématiques de livraison que connaît actuellement le secteur automobile, les pourcentages de verdissement sur les commandes sont susceptibles d’être plus élevés que ceux analysés sur les livraisons, sans que les ordres de grandeur ne soient radicalement bouleversés.
[4] Voir la dernière étude de T&E publiée en février 2023 (en anglais) : Plug-in hybrids pollute more than claimed in cities and on commutes, new tests show
*Veolia et Saint-Gobain ont indiqué à Transport & Environment qu’en prenant en compte les bons de commande passés sur l’année 2022, l’objectif de 10% de véhicules “verts” était atteint pour leurs Groupes.
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