Rapport

La croissance du transport aérien anéantira les objectifs climatiques du secteur

janvier 13, 2025

T&E (Transport et Environnement) montre que les prévisions de croissance de l’industrie aéronautique se traduiront par un doublement du nombre de passagers transportés en Europe d’ici 2050 et par un épuisement du budget carbone du secteur aérien dès 2026. L’extension des aéroports, la sous-taxation du secteur et l’intensification du nombre de voyages des plus fortunés sont autant de sujets dont les législateurs doivent rapidement s’emparer.

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-3% La faible baisse des émissions du secteur aérien européen prévue entre 2019 et 2049, si le scénario de l'industrie se réalise.

Si les projections d’Airbus et de Boeing se matérialisent, le trafic aérien de passagers au départ des aéroports de l’UE doublera d’ici 2050, comparé à 2019. C’est un des enseignements de la nouvelle étude de T&E, qui confirme à quel point le secteur s’écarte de la trajectoire de décarbonation qu’il est censé respecter.

En 2050, toujours d’après le scénario de croissance du trafic de l’industrie aéronautique, le secteur aérien européen consommera 59% de carburant en plus par rapport à 2019 [1], malgré les améliorations de l’efficacité énergétique. Dans 25 ans, les appareils au départ de l’Europe continueront ainsi de brûler environ 21,1 millions de tonnes de kérosène fossile.

Avec la croissance projetée par l’industrie, l'électricité nécessaire en 2050 pour produire les carburants de synthèse sera supérieure à la demande électrique actuelle de l’Allemagne

Les avions utiliseront de plus en plus de carburants alternatifs appelés SAF (sustainable aviation fuels), moins émetteurs de CO2 sur leur cycle de vie. Mais même en utilisant 42% de SAF comme exigé par la loi européenne, le secteur brûlera en 2049 autant de kérosène fossile qu'en 2023.

Les carburants alternatifs sont de deux types : d’une part les biocarburants, fabriqués à partir de biomasse, qui présentent l’inconvénient d’être peu durables. D’autre part les carburants de synthèse, fabriqués à partir d’énergies renouvelables et de CO2.

En ce qui concerne les biocarburants, l’analyse de T&E montre que l’aviation européenne prévoit d’en consommer 24.2 millions de tonnes en 2050. Mais 80% de ce volume risquerait alors de provenir de matières premières qui ne sont pas durables, comme les dérivés de l’exploitation de l’huile de palme. 

Bien que les carburants de synthèse présentent plus de gages de durabilité et de capacité de mise à l’échelle que les biocarburants, ils ne seront pas en mesure de suivre la croissance débridée du secteur aérien. La législation européenne (appelée RefuelEU Aviation) exige que les réservoirs des avions contiennent au moins 35 % de carburants de synthèse en 2050. 

Si les projections de croissance de l'industrie se réalisent, 24,2 millions de tonnes de e-kérosène seraient nécessaires. Mais, comme la production des carburants de synthèse nécessite beaucoup d'énergie électrique, les besoins énergétiques de l'industrie aéronautique européenne seraient supérieurs à la demande totale d'électricité de l'Allemagne en 2023 (506 TWh).

L’étude de T&E illustre ainsi comment la croissance effrénée du secteur annulerait les réductions d’émissions permises par les SAF. Ces derniers sont une solution de décarbonation de l’aérien seulement si le niveau de trafic est maîtrisé.

Le budget carbone du secteur aérien pourrait être épuisé dès 2026 

Avec les chiffres de croissance d'Airbus et de Boeing, les émissions de l'aviation européenne diminueront de seulement 3% en 2049, par rapport à 2019 [2]. En 2050, date à laquelle l'UE devra atteindre le zéro émission nette, le secteur aérien émettra encore 79 millions de tonnes de CO2. À ce rythme, il épuiserait son budget carbone d'ici à 2026, selon T&E.

« Ces chiffres donnent le vertige, déclare Jérôme du Boucher, responsable aviation de T&E France. Les plans de croissance de l'industrie aéronautique sont en totale contradiction avec les objectifs climatiques de l'Europe et ne répondent pas à l'ampleur de la crise climatique. Un changement de paradigme et un véritable leadership en matière de climat sont nécessaires dès maintenant pour résoudre le problème. La crédibilité de l'aérien est en jeu ».

La Commission européenne a élaboré un plan visant à réduire les émissions de 90 % d'ici à 2040 par rapport à 1990. Tous les secteurs, y compris l'aviation, doivent s'attaquer à leur impact sur le climat. Sur la base de l'étude d'impact de la Commission, T&E anticipe une croissance annuelle moyenne du trafic de 1,4 % entre 2023 et 2050, soit 60 % de moins que les projections d'Airbus et de Boeing. 

Cette projection de croissance plus faible se traduira néanmoins par une augmentation des émissions de 46 % en 2040 par rapport à 1990, ce qui est loin d'être suffisant pour parvenir au zéro émission nette. Cela reviendrait à accorder un passe-droit à l'aviation au détriment de tous les autres secteurs, prévient T&E.

L’objectif de réduction des émissions doit s’accompagner de mesures concrètes

Pour l'instant, la Commission européenne n'a aucun plan concret pour limiter la croissance du secteur de l'aviation dans son objectif pour 2040. Si aucune politique de lutte contre la croissance du trafic n'est mise en place, les émissions de l'aviation en Europe ne diminueront pas assez rapidement.

T&E demande instamment à la Commission européenne de présenter des propositions pour mettre fin à l’extension des infrastructures aéroportuaires en Europe, maintenir les voyages d'affaires à 50 % du niveau de 2019, résoudre le problème des grands voyageurs et revoir la sous-taxation du secteur. A ce sujet, la France doit sans plus attendre se mettre au niveau de taxation de ses voisins allemand, britannique et hollandais en relevant significativement sa taxe sur les billets d’avion. En l'absence de telles mesures, si les prévisions d’Airbus et Boeing se traduisent dans les faits, T&E estime qu’au niveau européen, 960 millions de tonnes de CO2 supplémentaires pourraient être émises entre 2023 et 2050 par rapport à ce qui est prévu par la Commission européenne.

« Nous nous félicitons de l'objectif de réduction des émissions de 90 % fixé par la Commission européenne. Mais un tel objectif n'a aucun sens s’il ne s’accompagne pas de politiques concrètes visant à réduire les émissions de l'aviation. Le secteur a bénéficié d'innombrables exemptions au cours de son histoire ; il est temps de changer de cap », conclut Jérôme du Boucher.

Notes aux éditeurs

[1] Cela inclut le kérosène fossile, les biocarburants (dont beaucoup ne sont pas durables), et les carburants de synthèse (ou e-fuels).

[2] Avec l’hypothèse optimiste que tous les biocarburants sont durables et permettent une réduction des émissions unitaire de 85% par rapport au kérosène fossile.

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