Dans la continuité d’un premier rapport pointant le décalage entre les paroles et les actes des plus grandes sociétés de leasing, une nouvelle enquête menée par T&E met en lumière la réalité des conseils et de l’accompagnement proposés par ces sociétés à leurs clients en matière de transition vers la voiture électrique.
En France, contrairement à ce que laissent penser leurs discours officiels, les principales sociétés de leasing n’incitent pas leurs futures entreprises clientes à passer à la voiture électrique. C’est même la conclusion inverse qui ressort d’une enquête qualitative de type « appels mystères » réalisée auprès des commerciaux des sociétés de leasing par un cabinet d’investigation mandaté par Transport et Environment (T&E).
Concrètement, les enquêteurs se sont fait passer pour des représentants d’entreprises qui cherchaient à louer des voitures en leasing. Ces entreprises fictives présentaient des cas d’usage automobiles qui auraient dû, a minima, inciter à proposer des voitures électriques (kilométrage adapté, possibilité de mettre en place une politique de recharge, flexibilité sur les modèles, budget non défini, localisation dans des centres urbains…). C’est pourtant l’inverse qui s’est produit.
Sur les12 appels passés auprès de 5 des plus grandes sociétés de leasing (Arval, ALD-Leaseplan [1], Athlon, Mobilize Financial Services et Volkswagen Financial Services), seuls 2 commerciaux ont proactivement conseillé aux enquêteurs de privilégier le passage à la voiture électrique.
L’option de l’hybride rechargeable est largement présentée comme une alternative à la voiture électrique, alors qu’il est désormais clair qu’il s’agit d’un véritable piège climatique et financier pour les entreprises. En conditions réelles d’utilisation, ces voitures sont quasi-systématiquement utilisées en mode thermique (étant déployées sans mise en place d’une réelle politique de recharge), ce qui conduit à sur-consommer du carburant [2].
« Ces résultats démontrent une nouvelle fois le gouffre entre les paroles et les actes des grandes sociétés de leasing. Ils apportent par ailleurs un démenti à un argument régulièrement avancé par les sociétés de leasing pour expliquer leur retard dans la transition électrique : les mauvaises performances du secteur ne proviennent pas d’une supposée réticence de leurs clients vis-à-vis de l’électrique. Il existe aussi de vraies défaillances dans l’accompagnement et les conseils qu’elles proposent », insiste Léo Larivière.
L’analyse des arguments mobilisés par les commerciaux des sociétés de leasing en France témoigne par ailleurs d’un grave déficit de formation sur la voiture électrique. Les commerciaux ont tendance à donner du crédit aux faux mythes associés à l’utilisation de la voiture électrique, notamment sur l’autonomie et la recharge. Outre le fait que les cas d’usage des entreprises fictives étaient pensés pour que ces deux enjeux ne posent pas problème, leur argumentaire est en décalage avec les performances actuelles des voitures électriques et la réalité du déploiement du réseau de recharge, qui permet dès aujourd’hui de répondre à la grande majorité des usages automobiles professionnels.
Ensuite, les comparaisons financières entre les différentes motorisations réalisées par les commerciaux sont incorrectes. En particulier, les voitures hybrides sont massivement présentées comme aussi avantageuses que l’électrique d’un point de vue fiscal, ce qui est faux [3].
Plus généralement, la notion de coût total d’utilisation (Total Cost of Ownership en anglais), qui désigne le coût total payé pour l’utilisation d’une voiture sur l’ensemble de la période de location (une fois pris en compte l’ensemble des coûts : loyer mensuel, carburant ou électricité, entretien, assurance, accidentologie, fiscalité, éventuelle installation et gestion des bornes, etc.), est très largement occultée. Cela conduit à présenter la voiture électrique la motorisation la plus chère du marché – ce qui ne pousse évidemment pas leurs clients à passer le pas -, et l’hybride rechargeable comme une option avantageuse financièrement.
Ces affirmations sur le coût comparé des motorisations sont factuellement erronées, comme le montrent les analyses publiées… par les sociétés de leasing elles-mêmes [4].
Enfin, la diminution des émissions de CO2 permise par le passage à l’électrique n’est jamais utilisée comme argument de vente.
« Derrière le greenwashing de façade, la réalité est cruelle pour les sociétés de leasing en France : la voiture à pétrole continue d’être largement présentée, directement ou indirectement, comme la meilleure solution pour les flottes professionnelles, à l’appui d’arguments discutables. Cette option est pourtant de plus en plus coûteuse pour les entreprises. La réglementation et la fiscalité ne cessent de se durcir, sans parler du prix élevé des carburants fossiles. Les sociétés de leasing ne proposent donc pas un choix d’experts, objectif et éclairé, à leurs clients » explique Léo Larivière, responsable Transition automobile chez T&E France.
Ces constats sont d’autant plus problématiques que les sociétés de leasing sont de véritables géants du marché automobile. En France, en 2022, c’est près de 6 voitures neuves sur 10 qui ont été mises en circulation via un contrat de leasing [5]. L’impact de leur absence de volontarisme en matière d’électro-mobilité est donc majeur sur le rythme de transition du marché et sur les émissions de CO2 du secteur.
Dans la continuité du rapport d’octobre 2023, T&E appelle à nouveau les plus grandes sociétés de leasing et leurs maisons-mères à se doter de véritables engagements de transition vers la voiture électrique. Elles doivent s’engager à ne plus louer de voitures à pétrole au plus tard d’ici à 2028 et passer leurs immatriculations au 100 % électrique à partir de cette date.
Cet engagement doit notamment les conduire à mieux former leurs services commerciaux et à améliorer les conseils qu’elles prodiguent à leurs clients, afin de mieux les accompagner dans leur passage à l’électrique. De même, T&E les appelle à soutenir publiquement des propositions de réformes fiscales et réglementaires visant à inciter à la production et à la location de voitures électriques, pour dynamiser la demande de transition de leurs clients.
Notes aux éditeurs
[1] ALD-Leaseplan est devenue Ayvens depuis le 16 octobre dernier.
[2] ICCT (2022), Real-world usage of PHEVs in Europe: A 2022 update on fuel consumption, electric driving, and CO2 emissions.
[3] Les motorisations hybrides ne bénéficient pas du bonus écologique, ni d’une fiscalité aussi avantageuse que l’électrique en matière d’avantages en nature et d’amortissements non déductibles. La loi de finances pour 2024 met par ailleurs fin aux exemptions sur les taxes annuelles sur les voitures d’entreprises dont ces voitures bénéficiaient.
[4] LeasePlan (2022), Car Cost Index ; ALD Automotive (2022), Mobility Guide ; Arval (2023), TCO Scope.
[5] Source: NGC Data (2023). Immatriculations des véhicules légers neufs (VP et VUL) en 2022.
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