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Comment décarboner l’aviation en Europe d’ici 2050?

mars 29, 2022

T&E publie sa feuille de route pour la décarbonation de l'aviation européenne.

Pour que le secteur aérien européen soit en phase avec nos objectifs climatiques, les mesures contraignantes doivent s’accompagner d’une approche plus pertinente des voyages d’affaires. Telle est la principale conclusion de la feuille de route révisée de T&E pour la décarbonation de l’aviation européenne, que nous publions à un moment décisif pour le secteur aérien, confronté à un problème climatique persistant.

Quelques faits et chiffres suffisent à souligner la gravité de ce problème. Entre 2005 et 2019, le trafic aérien en Europe a augmenté de 67 %, tandis que ses émissions ont connu une hausse de 24 % (voir figure E.1). Ces dernières représentent désormais 4,9 % du total des émissions de l’UE avant la pandémie de Covid-19 [1]. Et cela en tenant compte des seuls effets liés au CO2 – nous reviendrons plus loin sur les effets non liés au CO2. L’impact climatique du transport aérien est avant tout un problème d’Européen riche : si tous les habitants de la planète prenaient l’avion comme le font les 10 % d’Européens les plus fortunés, l’aviation émettrait 23 Gt de CO2 par an, soit deux tiers des émissions mondiales de CO2 en 2019.

Figure E.1 : Émissions indexées du secteur des transports dans l’UE27 et au Royaume-Uni, 1990 à 2020.

Comment résoudre un tel problème ? Beaucoup de choses ont heureusement changé depuis la publication de la première version de la présente feuille de route en 2018. Les progrès scientifiques et technologiques, ainsi que les enseignements tirés tout au long de la pandémie, démontrent qu’il existe désormais une voie crédible pour réduire les émissions de l’aviation d’ici 2030 et éradiquer son impact sur le climat à l’horizon 2050.

Si nous voulons emprunter cette voie, il faut commencer par ne pas aggraver le problème : nous devons agir de toute urgence pour empêcher un rebond rapide des émissions de l’aviation après la crise sanitaire. Les deux piliers d’une telle approche sont la fin de l’expansion des aéroports en Europe, responsable d’une grande partie de la croissance des émissions, et le recul des voyages d’affaires de 50 % par rapport à leurs niveaux pré-Covid. Cette diminution des voyages d’affaires permettrait de réduire les émissions de CO2 de 32,6 Mt d’ici à 2030.

La baisse des déplacements professionnels se voit permise par les enseignements tirés de la pandémie.  Si la praticité de connexion qu’apportait l’avion nous a manqué, nous avons également découvert de nouvelles façons de travailler et de rester en contact. De nombreuses entreprises ont pu poursuivre leurs projets, maintenir les liens avec leurs clients et même se développer.

Cette nouvelle approche du voyage d’affaires implique de repenser intelligemment notre façon de travailler et d’interagir. À mesure que nos relations économiques s’étendent géographiquement, l’idée d’envoyer des collaborateurs aux quatre coins du globe semble de plus en plus dépassée et inefficace. La gestion de la demande n’est plus un sujet tabou : l’AIE a souligné le rôle important que pourrait jouer une réduction, même limitée, du nombre de vols. 12 % de vols en moins permettraient ainsi de réduire les émissions de 50 % [2].

Les mesures pour atteindre cet objectif nécessiteront une synergie entre les actions des grandes entreprises et celles des gouvernements. Les grandes firmes qui font voyager leurs employés en avion affirment – et certaines ont déjà commencé à le démontrer – qu’elles ne reviendront pas à leurs niveaux de déplacement pré-Covid. Les engagements en matière de climat des entreprises doivent être transparents quant à la manière dont elles entendent réduire leurs voyages en avion. De leur côté, les gouvernements doivent répondre à cette baisse de la demande non pas en continuant à subventionner le retour à son niveau d’avant la crise sanitaire, mais en revoyant à la baisse les prévisions de croissance et en reconnaissant que le secteur aérien peut et doit être restreint. Les gouvernements et autres organismes publics doivent également réduire leurs propres déplacements à forte intensité carbone.

Bien qu’elle constitue de loin la principale source de réduction des émissions au cours de la présente décennie, la baisse de la demande ne suffira pas à elle seule à assurer la neutralité carbone de l’aviation d’ici à 2050. Pour y parvenir, nous avons besoin d’une série de mesures et de politiques visant à éradiquer l’impact de l’aviation sur le climat. Notre feuille de route les aborde donc d’une manière qui se veut exhaustive.

En premier lieu, elle s’intéresse au rôle que peuvent jouer les améliorations de l’efficacité technologique et opérationnelle. Après tout, on dit souvent que l’énergie la plus verte est celle que nous ne consommons pas. Cependant, le problème de l’aviation réside dans le fait que la croissance induite par la demande a toujours dépassé les améliorations de l’efficacité. Cet écart ne fera que se creuser, car notre feuille de route montre que les améliorations de l’efficacité deviennent de plus en plus difficiles à réaliser.

La deuxième grande politique que nous examinons est celle d’une tarification plus juste des émissions de l’aviation et de la fin des exonérations fiscales scandaleuses dont bénéficie le secteur aérien. En 2022, rien ne justifie que les compagnies soient autorisées à acheter du kérosène fossile sans s’acquitter d’une taxe, et que la majorité des émissions de l’aviation européenne soient exemptées du mécanisme de tarification du carbone de plus en plus efficace mis en place par l’UE.

Il existe de nombreuses politiques susceptibles de corriger cette sous-évaluation du prix des émissions de l’aviation et d’internaliser enfin leurs externalités négatives. Il s’agit notamment de la taxation des carburéacteurs fossiles, du SCEQE, des taxes sur les billets et de la tarification minimale. La modélisation de notre feuille de route fixe à 165 € le prix de la tonne de CO2 pour toutes les émissions de l’aviation européenne d’ici à 2030, y compris celles des vols au départ de l’Europe qui ne sont actuellement pas couverts par le SCEQE. Divers obstacles juridiques et politiques s’opposent à la fixation d’un tel prix pour l’ensemble des émissions, mais cela n’enlève rien à la nécessité de réduire les émissions de l’aviation au cours de la présente décennie. Le franchissement ou non de ces obstacles par les législateurs permettra de mesurer le sérieux avec lequel nous abordons le problème climatique que pose le secteur aérien. S’ils échouent, ce problème deviendra encore plus difficile, voire impossible, à résoudre.

Nous avons ensuite étudié le rôle que les technologies révolutionnaires de ravitaillement des avions, qui ont suscité beaucoup d’attention, peuvent jouer dans la réduction de l’impact de l’aviation sur le climat. L’avionneur Airbus a indéniablement ranimé ce débat, avec sa récente tentative de développer un avion à hydrogène. Il a été rejoint par une série de nouveaux acteurs qui produisent des dessins et des modèles d’aéronefs électriques ou à hydrogène. Le potentiel de réduction des émissions semble plus important avec les avions à hydrogène, mais les défis à relever sont nombreux, tant sur le plan technologique qu’économique.

La question est moins de savoir si de tels appareils pourront être développés que de savoir quand ils pourront l’être. Étant donné la nécessité pour le secteur aérien de réduire immédiatement ses émissions, ces nouveaux avions, opérationnels dans les années 2040, arriveront bien trop tard. Pour exploiter pleinement leur potentiel, il nous faut une véritable stratégie industrielle, assortie de réglementations ambitieuses et contraignantes. L’expérience acquise à l’occasion de l’accélération de l’électrification du transport routier montre que les réglementations publiques sont indispensables pour garantir le développement et le déploiement des nouvelles technologies. Le secteur de l’aviation ne déroge pas à cette règle. En accélérant le déploiement de ces nouvelles technologies, nous serons en mesure de préserver et de renforcer la compétitivité de l’industrie aéronautique européenne, qui est essentielle.

Cependant, comme les moteurs à réaction « traditionnels » devraient continuer à être utilisés pendant des décennies encore, nous avons besoin de politiques visant à remplacer le carburant fossile par des combustibles de substitution à teneur quasi nulle en carbone, comme les carburants durables d’aviation (sustainable aviation fuels ou SAF), qui constituent le principal instrument pour décarboner enfin l’aviation et réduire ses effets non liés au CO2. Notre feuille de route confirme toutefois que la mise au point de nouveaux carburants n’est pas une tâche aisée. Les alternatives biosourcées entrent en concurrence avec l’alimentation et la sylviculture, ou ont des matières premières limitées.

L’utilisation de l’e-kérosène, produit à partir d’hydrogène vert, avec de l’électricité renouvelable excédentaire et du CO2 capté dans l’air ambiant, pourrait être une voie plus prometteuse. Lorsque nous avons publié notre première feuille de route en 2018, les possibilités offertes par ce carburant étaient méconnues. Désormais, les législateurs européens ont proposé un objectif pour l’e-kérosène, dont la production commence (très) lentement.

Il s’agit certes d’une avancée, mais les choses ne vont pas assez vite. Nous savons qu’il sera impossible de produire de sitôt les quantités astronomiques d’électricité renouvelable nécessaires pour décarboner l’ensemble du transport aérien avec ce carburant. Dans les scénarios où ce secteur se développe sans être contrôlé, avec un niveau de demande raisonnable de la part des passagers, la production d’e-kérosène pourrait consommer jusqu’à 24 % de l’électricité renouvelable produite en Europe en 2050.

Alors que nous nous penchons sur la question du CO2 dans l’aviation, nous devons également résoudre le problème des effets non liés au CO2, qui n’ont rien de nouveau ni d’inconnu, comme certains voudraient nous le faire croire. Le GIEC en fait état depuis les années 1990. Cependant, trop d’intérêts partisans ont prévalu, et on a préféré prétendre le contraire en balayant le problème sous le tapis.

Une mauvaise nouvelle pour le climat, car nous savons que les effets non liés au CO2 peuvent avoir un impact encore plus important sur le réchauffement que les effets liés au CO2 du trafic aérien. Les mesures potentielles ne manquent pourtant pas : de l’utilisation des SAF à la transformation des modes de raffinage du kérosène fossile, en passant par le reroutage des avions et les mécanismes de tarification. Notre feuille de route présente les avantages et les inconvénients de chacune d’entre elles, mais il est clair que les législateurs doivent agir dès maintenant. Un bon point de départ pourrait consister à imposer une réduction des composés aromatiques dans le kérosène fossile – ce serait bénéfique pour le climat, pour la qualité de l’air et même pour les compagnies aériennes, étant donné la densité énergétique plus élevée de ce carburant. Mais cela ne suffira pas. Nous devons également envisager de rerouter les vols afin d’éviter des conditions atmosphériques particulièrement propices à la formation de traînées de condensation.

Toutes ces politiques doivent être assorties de mécanismes de financement adaptés, qui orienteront les fonds vers une aviation plus écologique plutôt que vers son expansion. Nous ne pouvons pas nous permettre une autre décennie perdue, avec des centaines de milliards d’euros consacrés aux avions à réaction, et seulement quelques millions investis dans les nouveaux carburants. Il faut faire comprendre aux investisseurs qu’injecter des milliards dans un secteur à fortes émissions de carbone comporte un risque considérable.

La gestion de la demande représente le moyen le plus efficace de réduire les émissions au cours de la présente décennie, mais si les législateurs adoptent dès maintenant des politiques d’atténuation ambitieuses, elle pourrait à terme être supplantée par des solutions telles que les carburants de substitution et les avions zéro émission (figure E.2). Notre feuille de route établit que les politiques d’atténuation pourront être mises en œuvre plus rapidement à partir de 2030, mais qu’il faudrait pour cela que des mesures soient prises dès maintenant, un premier pas ayant été franchi avec le paquet « Fit for 55 » de l’UE et les garanties promises par le Royaume-Uni.

Figure E.2 : Émissions de l’aviation dans l’UE27 et au Royaume-Uni jusqu’en 2050 – prévisions de décarbonation.

Ces mesures doivent néanmoins être renforcées tant pour ce qui est des effets liés au
CO2 qu’en ce qui concerne les effets non liés au CO2, et le secteur aérien doit comprendre que sa survie dépend de la capacité de la technologie à supplanter la gestion de la demande en tant que solution au défi climatique posé par l’aviation. Le secteur tout entier doit appuyer les politiques contraignantes qui soutiennent ces mesures, faute de quoi la gestion de la demande ne fera que s’accélérer jusqu’à remettre son avenir en question. La présente feuille de route dessine une voie crédible vers un secteur européen de l’aviation en phase avec notre ambition climatique commune. Sa mise en œuvre profiterait autant au secteur de l’aviation qu’à l’environnement.

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