La Norvège, l'Allemagne et la France ont pris de l'avance dans la production d'e-carburants pour les avions, mais des incertitudes persistent.
Selon une nouvelle étude de Transport & Environment (T&E), 45 projets de production d’e-kérosène ont été recensés dans l’Espace économique européen (EEE). S’ils étaient confirmés, ils permettraient au secteur aérien d’avoir suffisamment de carburant de synthèse pour répondre au premier mandat fixé par l’UE pour ce type de carburant d’aviation durable (SAF, selon l’acronyme anglais) en 2030, à savoir 1,2% du carburant fourni aux aéroports de l’UE. Mais aucun de ces projets n’a encore passé l’étape du lancement effectif des travaux. En conséquence, les objectifs fixés par l’UE pourraient ne pas être tenus. Dans le détail, T&E a dénombré 25 projets industriels et 20 projets pilotes plus modestes dédiés à la production d’e-kérosène pour l’aviation.
Les 25 projets industriels majeurs identifiés dans l’étude ont l’ambition de produire 1,7 million de tonnes (Mt) d’e-kérosène d’ici 2030 [1] . Cette quantité irait bien au-delà des 600 000 tonnes prévues à date par la loi européenne sur les carburants durables pour l’aviation, appelée ReFuelEU [2]. Les 1,7 Mt de carburant annoncés pourraient alimenter l’équivalent de 70 000 vols Paris-New York [3] et éviter l’émission de 4,6 millions de tonnes de CO2 [4].
Cependant, aucun grand projet d’e-kérosène n’a encore fait l’objet d’une décision finale d’investissement, qui lance la phase de construction du projet. Ainsi, bien que la quantité d’e-kérosène prévue semble indiquer que l’UE est en bonne voie pour atteindre ses objectifs, rien n’est encore certain, prévient T&E. Bien que la loi ReFuelEU ait créé une demande prévisible à long terme et réduit les risques d’investissement dans l’e-kérosène, les développeurs de projets doivent encore surmonter de nombreux obstacles, tels que la faible disponibilité de l’hydrogène vert et des sources de carbone durable, ou la difficulté de convaincre les compagnies aériennes de signer des accords d’achat.
Jérôme du Boucher, responsable aviation à T&E France, explique : « L’UE pourrait atteindre l’objectif qu’elle s’est fixé pour 2030, à savoir propulser les avions avec 1,2% d’e-carburant. Les projets d’usines d’e-kérosène fleurissent dans toute l’Europe. Mais la route est encore longue avant de voir ce carburant arriver effectivement dans nos avions. Il faut en effet passer de la théorie à la pratique, et veiller à ce que les projets relatifs à l’e-kérosène se concrétisent réellement, faute de quoi la loi ne sera qu’un vœu pieux ».
Les projets d’e-kérosène décomptés dans l’étude sont basés dans seulement dix pays de l’EEE. La Norvège arrive en tête avec une capacité potentielle de production de 420 000 tonnes d’e-kérosène en 2030. Deux entreprises norvégiennes, Nordic Electrofuel et Norsk e-Fuel, prévoient de conquérir près d’un quart du marché européen, selon l’analyse.
Parmi les pays européens, l’Allemagne et la France accueillent un nombre relativement élevé de projets de production d’e-kérosène. L’Allemagne a d’ailleurs son propre objectif pour l’utilisation de l’e-kérosène dans les aéroports (0,5 % en 2026 et 2 % en 2030). La France de son côté a promis 200 millions d’euros pour soutenir des projets innovants de SAF, dont certains d’e-kérosène, et a maintenant rattrapé l’Allemagne en termes de prévision de capacité de production d’e-kérosène. Les deux pays pourraient ainsi produire chacun environ 300 000 tonnes d’e-kérosène en 2030.
« Notre carte de l’e-kérosène révèle une Europe à deux vitesses : alors que des pays comme la Norvège, l’Allemagne et la France prennent de l’avance dans la course à l’e-kérosène, avec quelques projets prometteurs à l’horizon, d’autres pays comme l’Espagne, l’Italie et la Pologne sont à la traîne et n’exploitent pas leur potentiel. L’accélération de la production d’e-carburants pour l’aviation devrait être une priorité des stratégies nationales de décarbonation de l’aviation. En plus de la nécessaire modération du trafic aérien, l’Europe aura besoin d’engager une production d’e-kérosène très volontariste pour transformer les rêves de vols plus durables en réalité », conclut Jérôme du Boucher.
Afin de décarboner le secteur de l’aviation, il faut trouver une alternative au kérosène fossile qui puisse être mise à l’échelle pour répondre à la demande de carburant du secteur. Contrairement à la biomasse utilisée pour les biocarburants, l’e-kérosène utilise une source d’énergie renouvelable pouvant être largement déployée : l’électricité renouvelable. La combustion de l’e-kérosène peut se rapprocher de la neutralité carbone, si ce dernier est produit en utilisant de l’électricité renouvelable et du dioxyde de carbone capturé dans l’atmosphère.
Notes aux éditeurs
[1] Les 20 plus petits projets n’ont pas été comptabilisés en termes de capacité de production, car il s’agit de projets de démonstration qui s’engagent à ne produire que quelques centaines de tonnes chacun.
[2] ReFuelEU Aviation oblige tous les fournisseurs de carburants d’avions à mélanger une certaine proportion d’e-kérosène dans le carburant qu’ils livrent aux aéroports de l’UE, en commençant par 1,2 % en 2030 et en augmentant progressivement cette part jusqu’à 35 % en 2050.
[3] Avec l’hypothèse de 50% d’incorporation d’e-kérosène.
[4] Avec l’hypothèse d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 85% entre l’utilisation de kérosène classique et le e-kérosène.
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