Pour tenter de prouver que leurs voitures étaient propres, Volkswagen, Daimler et BMW ont payé des recherches au cours desquelles des singes et des humains ont dû respirer des fumées toxiques de diesel. C’est odieux. Ces pratiques font ressortir la morale douteuse des constructeurs allemands, et contrastent avec l’image de marque qu’ils entretiennent soigneusement à grand renfort de marketing.
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Afin de minimiser l’impact de ses voitures sur la santé et l’environnement, l’industrie automobile fonde des instituts comme l’ancien Groupe Européen de Recherche sur l’Environnement et la Santé dans le secteur du Transport (EUGT en allemand). L’EUGT, en apparence indépendant, était entièrement financé par Volkswagen, Daimler, BMW et Bosch et a commandé des expériences abjectes. Ce genre de pratique, monnaie courante aux États-Unis et largement utilisée par les climatosceptiques, est de plus en plus employée en Europe.
Cet abus de « recherches » de l’industrie automobile, soucieuse de fournir des munitions à son armée de lobbyistes, est endémique. Il y a 2 ans, une étude financée par les constructeurs automobiles a proposé de dépenser 520 milliards d’euros afin de modifier la surface des routes européennes pour réduire les émissions de gaz d’échappement, plutôt que de résoudre le problème à la source en améliorant les voitures. Selon une autre étude, également payée par l’industrie automobile, améliorer l’efficacité des camionnettes ferait augmenter leur coût de 8.800 euros. Or, une étude indépendante a estimé ce coût à 620 euros. Enfin, l’industrie automobile avait avancé qu’« un objectif d’émission de 130 grammes de CO2/kilomètre, comme proposé par la Commission, n’est pas faisable ». Cet objectif a pourtant été atteint avec plusieurs années d’avance, sans impact sur les prix des voitures.
Des légions de chercheurs et de consultants sont prêts à tromper et à désinformer le public et les décideurs politiques pour le compte de l’industrie automobile. Les ONG, quant à elles, peinent à trouver des consultants hautement qualifiés car ces derniers ne veulent pas froisser les constructeurs. Comme les législateurs n’ont qu’un budget serré pour réglementer une industrie pesant plusieurs milliards d’euros, ils deviennent dépendants des données et des études de cette même industrie.
La réponse des entreprises au « Monkeygate » montre que l’on n’a rien appris du Dieselgate.
En 2015, elles se sont justifiées en avançant que seule « une poignée d’ingénieurs véreux » de chez Volkswagen était responsable. Il s’était pourtant avéré que l’utilisation de logiciels tricheurs était répandue et bien connue des dirigeants. Suite aux révélations des tests sur les singes, Volkswagen, Daimler et BMW ont chacune suspendu un cadre supérieur. Ils serviront très certainement de bouc émissaire pour protéger ce qu’il reste d’une crédibilité ébranlée. Des chasses aux sorcières internes identifieront probablement d’autres « conspirateurs » qui seront sacrifiés pour protéger ceux qui sont à l’origine de cette culture toxique dans laquelle la fin justifie les moyens.
Hélas, la fraude sur les tests d’émissions de NOx révélée par le Dieselgate n’est pas unique en son genre. Les tests en laboratoire destinés à évaluer les émissions de CO2 et la consommation de carburant sont également manipulés. Des ingénieurs sont d’ailleurs déjà très certainement en train de chercher les failles du nouveau test WLTP pour « améliorer » les résultats. La mise en place du test WLTP et de nouveaux tests en conditions réelles pour mesurer les émissions de polluants sont une avancée, tout comme l’est le renforcement du système d’homologation des véhicules qui inclut une surveillance accrue par la Commission européenne. Mais en définitive, le système ne fonctionnera pas sans application stricte et sans sanctions sévères en cas de fraude, ce qui nécessite un changement culturel au sein de l’industrie. Cela explique pourquoi les clients américains de Volkswagen ont été indemnisés, alors qu’en Europe, 35 millions de véhicules diesel très polluants sont toujours en circulation.
Les entreprises devraient se démarquer grâce aux compétences de leurs ingénieurs, et non de leurs avocats. Nous avons plus que jamais besoin d’une Europe forte, avec des Eurodéputés et des Commissaires désireux de mieux cadrer une industrie qui ternit à la fois la réputation de l’Allemagne et celle de l’Europe.
L’« affaire des singes » est l’exemple le plus récent d’une liste consternante de scandales dans lesquels l’industrie automobile allemande est impliquée. Outre les exemples mentionnés ci-dessus, les constructeurs automobiles allemands font également l’objet d’une enquête relative à la formation d’un cartel, remontant aux années 1990, pour contrôler le coût des véhicules, les fournisseurs et les technologies, y compris celles liées au contrôle des émissions.
Ces affaires sont révélatrices d’une industrie qui est au-dessus des lois. Cette attitude est le résultat d’une relation malsaine entre les entreprises et le monde politique allemand, relation où des individus passent des conseils d’administration au Bundestag et où les régions sont en partie propriétaires des entreprises. En effet, la moitié des parts de BMW est encore entre les mains de la famille Quandt ; 20 % de celles de Volkswagen appartiennent à la Basse-Saxe ; et Bosch est largement détenue par une association caritative.
Les conseils d’administration semblent incapables de contrôler les mâles dominants qui sont à la tête de ces entreprises voyous. Leurs désirs de ventes, de profits et de prestige ne sont pas durables. Leurs pratiques commerciales ne sont pas éthiques. Un changement culturel profond est urgent pour assurer l’avenir de ces entreprises sur le long terme. Le personnel exécutif et encadrant doit changer. Il faut davantage de femmes, de jeunes, et une nouvelle gestion extérieure à l’industrie automobile pour reconstruire une réputation salie. Transformer une poignée de managers en boucs émissaires n’est que de l’habillage.